Matin chagrin
Ce
matin, elle ne travaillait pas. Elle avait décidé qu'elle allait
changer en changeant sa vision de la vie. Que la vie était belle.
Elle s'était réveillée avec un autre regard, une autre écoute, une
nouvelle attention. La journée était froide et lumineuse. Le soleil
d'automne éclairait de sa lumière dorée l'appartement, tandis
qu'elle se prélassait dans son bain. Pendue à son fil, une araignée
descendit du plafond. Elle se dit que malgré le dicton, rien ne
pourrait gâcher sa plénitude.
Ce
matin, elle avait décidé d'oublier l'homme qu'elle aimait, mais
qu'elle s'était résignée à quitter parce qu'il ne souhaitait pas
s'engager. Elle avait décidé de lui pardonner. Près d'une année
s'était écoulée depuis leur séparation, elle voulait aller de
l'avant.
Ce
matin, elle prenait son temps. Elle savourait chaque cuillerée de
céréales, en écoutant de la musique. Puis, elle s'était mise à
danser en riant, sans honte ni retenue, savourant dans son corps le
lâcher-prise, sur ' La banane ' de Philippe Katerine, qui pourrait
être, de son point de vue, un hymne flamboyant
de liberté dans ce monde étriqué de principes.
Ce
matin, elle alluma la radio, pour savourer la victoire d'une femme
aux Etats-Unis. Il n'en fut rien.
Ce
matin, le monde allait changer. La plus grande puissance mondiale
venait d'élire un mégalomane, narcissique, misogyne et raciste sans
considération ni pour l'humain, ni pour la planète. Elle éteignit
la radio.
Ce
matin, des hommes avaient laissé la peur parler. Ils avaient laissé
ceux qui assassinent les manipuler.
Ce
matin, elle faisait l'amer constat que l'homme ne retient rien de
l'histoire, sa peur le fait encore et toujours s'orienter vers
l'extrême : il doit trouver un coupable à son malheur.
Ce
matin, elle s'imagina - aux dires de la plupart des gens qu'elle
côtoyait ici, à la campagne, voulant "donner une leçon à
tous ces politiciens incapables et véreux" - qu'une femme
d'un parti de l'extrême pourrait être élue en France. Ce discours la tuait, l'absurdité de
ces propos. Mais à présent, elle prenait conscience que tout était
possible.
Ce
matin, le 9 novembre 2016, elle avait froid. Elle retourna se
coucher.
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