Le philosophe du RER


Avant de me perdre dans les méandres ultra-pointus de "La finance" par Rudolf  Schreiber, je jetai un rapide coup d’œil autour de moi. Je constatai qu'il était là, dans mon wagon. Depuis quelques jours, il était toujours là. Plusieurs mois déjà  que je l'avais remarqué, traînant sur le quai. Plus de dix ans que je faisais ce trajet chaque matin et chaque soir aux mêmes heures, j'avais repéré quelques habitués. Mais pas tant que ça finalement. Je n'avais jamais vraiment cherché à savoir si je croisais les mêmes personnes, pourtant c'était une évidence. Lui était  remarquable dans son jogging en coton gris, avec son allure de clochard sexagénaire, parmi tous ces cols blancs. Son rituel consistait à choisir une personne différente à chaque trajet et à entamer une conversation. S'il venait s'installer à côté de moi, je ne lui parlerais pas : c'était le seul moment de la journée où je pouvais être tranquille, sans patron, sans collègues, sans femme ni enfants. Le RER s'approchait de la troisième station. J'étais impatient. Elle allait monter, cette mystérieuse inconnue dont je détaillais les interminables jambes magnifiquement galbées. Elle choisissait toujours le même wagon, alors j'avais décidé que ce serait le mien, pour avoir le plaisir de la regarder. En hiver, ce que j'aimais par dessus tout, c'était lorsqu'elle mettait ses bottes de cuir à talons hauts qui serraient ses fines chevilles et ses jolis petits mollets. Ce jour-là, elle était en pantalon large. Immense désappointement.

-         Bonjour. Déçu hein ? me dit l'inconnu au jogging gris en me désignant de la tête la jeune femme en pantalon.

L'espace d'un instant l'angoisse me saisit. Cet incongru bonhomme était-il télépathe? L'air renfrogné, je me replongeai dans ma bible ...

-                                                                                                                                         

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